Prix 3R 2024 du FC3R
Découvrez aussi l’interview du lauréat du Prix 3R Recherche 2024 du FC3R
Fabrice Reigner, qui êtes-vous ?
Je travaille comme assistant ingénieur dans l'Unité Expérimentale en Physiologie Animale de l'Orfrasière (UEPAO), sur le site du centre de recherche INRAE Val de Loire de Nouzilly (37). Après un Bac Pro Élevage équin, j’ai d’abord travaillé comme responsable d’un élevage privé de chevaux, avant de rejoindre l’INRAE comme technicien en 1998. En 2011, j’ai pris la responsabilité de l’équipe équine, un troupeau de près de 150 chevaux et ânes. Être en contact avec les animaux, assurer leur bien-être et appliquer le principe des 3R (Remplacer, Réduire, Raffiner) est au cœur de mon quotidien et de mon activité professionnelle. Mes missions actuelles incluent :
-
l’animation de l’équipe et l’organisation du travail (6 agents),
-
la planification et le suivi de la bonne réalisation des protocoles expérimentaux (études de faisabilité et gestion des besoins en personnel et animaux, estimation des coûts expérimentaux et émission des devis),
-
la maintenance et l’amélioration des installations (réparties en 5 sites d’élevage pouvant héberger les 150 équins en conditions expérimentales)
-
l’optimisation des conditions d’hébergement et des soins prodigués aux animaux.
Parlez-nous des 3R et de la culture du soin à l’UEPAO
Avec les 6 autres agents de l’équipe équine, nous prenons soin du troupeau expérimental en collaboration avec les scientifiques des unités de recherches INRAE et de l’IFCE (Institut Français du Cheval et de l’Équitation), qui réalisent des études sur des thématiques comme la reproduction, l'éthologie, les comportements, le parasitisme, le bien-être et l'agroécologie. Nous développons des pratiques innovantes, dont les effets sur le bien-être animal sont ensuite rigoureusement évalués par des mesures comportementales et physiologiques par l'équipe de recherche INRAE Cognition Ethologie, Bien-Être animal, et dont voici quelques exemples :
Les animaux, qui évoluent sur un site de 500 ha de cultures et 120 ha de bois, bénéficient d’un environnement et d’un suivi unique pour assurer leur bien-être. Ils vivent en groupe, ce qui permet de favoriser les contacts sociaux. Des enrichissements comme des brosses automatiques de grattage, des troncs et des jeux sont disposés dans les paddocks et les boxes, et nous avons pu montrer que cela améliore leur bien-être (Lansade et al., 2014).
Nous avons développé une méthode de sevrage progressive, visant à réduire le stress des animaux en habituant graduellement le poulain à la séparation de sa mère (Mach et al. 2017), et raffiné notre procédure de castration pour réduire considérablement le stress post opératoire de l’animal (Cognié et al., 2023 ; Rouge et al., 2023).
Le bien être des chevaux de l’UEPAO, ainsi que du personnel de mon équipe, sont une priorité. Il est très vite apparu que les deux étaient liés et avaient un impact majeur sur la qualité des résultats scientifiques obtenus. Nous avons donc mis en œuvre dès que possible des procédures participatives cheval / humain basées sur le renforcement positif, et ainsi mettre fin aux méthodes classiques de contention des chevaux (tors nez, mors). Aujourd’hui, par exemple, les prises de sang peuvent être réalisées au milieu des pâtures, sans contention, dans le calme, sans stress pour l’animal, tout en facilitant et réduisant le temps de travail pour l’animalier. Nous avons également participé à l’élaboration d’une méthode raffinée de prélèvement de salive sans contrainte avec pour objectif de développer des outils de diagnostics non invasifs alternatifs aux prises de sang (Goudet et al, 2024).
De plus, l'unité a permis la réalisation d'études uniques sur la sensibilité émotionnelle des chevaux et leur compréhension des émotions humaines (Jardat et al. 2023; Trösch et al. 2020). Ces travaux révèlent des capacités cognitives insoupçonnées chez les équidés. Ces découvertes réalisées à l'UEPAO contribuent à une vision plus respectueuse de l'animal et à l'amélioration de ses conditions de vie, en modifiant profondément la perception que nous avons des chevaux et en soulignant l'importance de leur bien-être.
Enfin, le replacement des chevaux expérimentaux est également une de nos priorités. Tous les chevaux de l’UEPAO terminent leur carrière expérimentale à l’âge de 12 ans (pour une longévité de 25-30 ans) et sont replacés chez des particuliers sélectionnés pour leur respect du bien-être animal. Ces chevaux continuent donc leur vie dans un environnement agréable et adapté, avec des interactions cheval / cheval et/ou cheval / humain.
Comment partagez-vous ces avancées avec la communauté scientifique ?
Nous essayons de partager un maximum nos méthodes, pour qu’elles puissent profiter au bien-être animal dans d’autres unités expérimentales, même celles qui utilisent d’autres modèles animaux. Les effets de nos approches sont scientifiquement testés, publiés dans des revues scientifiques et présentés lors de conférences destinées au grand public ou inclus dans les formations des professionnels. Notre équipe met en place 15 à 20 protocoles par an en collaboration avec des équipes françaises et internationales, sur des sujets aussi variés que la gestion de la reproduction (échographie, insémination artificielle, congélation et transfert d’embryons), l’imagerie (imagerie in utero, IRM), les mesures comportementales, etc. Ces méthodes ont fait l’objet d’une quarantaine d’articles scientifiques en Open Access (ou mises à disposition sur l’archive HAL) et permis la publication de plus d’une centaine d’articles dans les domaines du bien-être animal, du comportement et de la reproduction.
Que représente pour vous ce Prix 3R « Culture du soin » ?
On est vraiment très heureux et très touchés, nos collègues chercheurs nous ont fait la surprise de cette nomination. C’est une belle reconnaissance de leur part, du travail que l’on fournit depuis 26 ans pour améliorer le bien-être des animaux, et une belle occasion de partager ça avec le reste de la communauté. Nous avons également obtenu fin 2023 le label EquuRES, qui est la première démarche nationale de qualité environnementale et bien-être équin spécifiquement développée pour les entités de la filière équine. Et, dans le cadre du projet SAFRAN (SAuvegarde de la FeRtilité de l’ANe), soutenu par la Région Centre-Val de Loire, nous nous sommes récemment vu confier, par des particuliers et des éleveurs, des animaux rares pour un projet de recherche visant à sauvegarder des races d’ânes en péril comme l’Âne Grand Noir du Berry (il reste moins d’ânes GNB que de pandas !). Ces preuves de confiance sont de belles reconnaissances de notre savoir-faire et du bien-être de nos animaux expérimentaux.